Une fiscalité écologique européenne est possible

Depuis la première tentative et le premier échec d’instauration d’une fiscalité écologique européenne en 1992, beaucoup de paramètres ont évolué: la conscience environnementale au sein de l’opinion publique, la construction européenne, les possibilités techniques… Mais l’élément dont le changement est le plus frappant, c’est bien l’état de la planète. C’est à l’Union de montrer l’exemple et de bâtir enfin une fiscalité écologique européenne nouvelle, solide et ambitieuse.

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Une détermination bien plus européenne que nationale

Force est de constater que les Etats-membres n’ont – à de rares exceptions près – pas développé de réelle fiscalité écologique au niveau national. Avec 2.9% du PIB en moyenne et une tendance à la baisse, le poids de la fiscalité verte en Europe est bien maigre et évolue à contre-courant des enjeux. Le contraste n’en est que plus marquant quand on le compare à la feuille de route fixée au niveau de l’UE: le paquet énergie-climat de 2009 et son plan « 20/20/20 » – dont les ambitions sont actuellement renégociées à la hausse – tracent la voie d’une dynamique à encourager.

La fiscalité, chaînon manquant

Dans cette dynamique de lutte contre le changement climatique, la fiscalité fait encore défaut. Côté législation, l’Union s’est saisie, certes tardivement, d’un règlement sectoriel au sujet de certaines émissions de véhicules légers. Cependant, comme en attestent ses résultats mitigés, cet outil n’est pas le plus approprié. Faute d’internalisation forcée, fixer une norme ne permet pas d’orienter les comportements.

Cette internalisation devait aboutir grâce à la création par l’UE d’un « marché carbone » en vigueur depuis 2005: le système d’échange de quotas d’émissions. Mais les espoirs nourris ont été vite déçus. Ses défauts de conception ont fait de ce marché un véritable gruyère: les secteurs les plus polluants ont d’emblée été exclus du dispositif, de larges exemptions ont été accordées via différents dispositifs, et les permis à polluer ont été distribués à foison. Par la suite, le ralentissement de l’activité économique a achevé de faire d’un marché où l’exception était devenue la règle un marché où le prix de la tonne de carbone était bien trop bas pour avoir quelque effet incitatif positif.

Une coopération renforcée comme seule voie juridique crédible

Si la nécessité d’une fiscalité écologique européenne est donc criante, les chemins empruntés jusqu’à présent ont vite refroidi les attentes. Par la fiscalité directe (en 1992) comme par la fiscalité indirecte (en 2003), les tentatives sont restées bloquées au niveau des Etats membres, méfiants face à un dispositif jugé trop ambitieux, trop déstabilisant pour l’économie, trop défavorable à tel ou tel secteur.

L’instauration d’une coopération renforcée pour une fiscalité écologique européenne apparaît à la fois comme l’unique alternative possible et comme une option tout à fait crédible. Aucune des conditions d’application de la coopération renforcée n’est politiquement ni juridiquement insurmontable pour le futur Parlement européen nouvellement élu.

S’il n’a pas l’initiative dans ce processus législatif, les traités européens réservent néanmoins au Parlement le moyen de faire entendre ses priorités et ses revendications. Entre une légitimité parlementaire bientôt renouvelée, l’adoption du nouveau paquet énergie-climat en octobre prochain, et en point d’orgue la conférence climat de décembre 2015 à Paris, le chemin est tout tracé. L’Europe connaîtra des conditions idéales et disposera d’une occasion sans pareil pour donner se doter d’un mécanisme à la hauteur des engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES).

Compléter l’existant ou créer une nouvelle fiscalité adaptée au monde de demain

Alors que faire? Deux grandes options émergent.

Il s’agit a minima de réformer le marché carbone, ce qui est une volonté qui a d’ores et déjà été affichée par neuf Etats-membres l’année dernière, encore que le contenu de cette réforme reste pour l’heure mystérieux. Doivent avant tout être revues les multiples exceptions qui minent le marché carbone. Surtout, doit être fixé un seuil minimal en dessous duquel le prix de la tonne de carbone ne pourrait pas descendre. Enfin, ce marché carbone fiscalisé doit s’accompagner d’une taxe hybride énergie-carbone afin de mettre à contribution les secteurs dont on ne peut identifier avec précision l’origine des émissions de CO2.

Une autre solution répondrait sans doute plus durablement à l’enjeu majeur auquel nous sommes confrontés en aidant à tracer la voie de sociétés sobres en carbone: une taxe sur le carbone ajoutée (TCA). Fonctionnant sur le même principe que la TVA, cette taxe permettrait au citoyen de prendre en considération le coût réel du carbone, dont la charge serait prise en compte à chaque étape de la vie du produit. Grâce à la méthode du bilan carbone, les obstacles de nature technique sont renvoyés dans le domaine du politique. Il revient ainsi à nos dirigeants de se mobiliser pour diffuser et standardiser auprès de nos partenaires un système de comptabilisation du carbone (et autres GES) qui existe déjà.

Profiter des recettes pour encourager la transition écologique de tous

En plus de réorienter les comportements, cette nouvelle fiscalité permettra de récolter les recettes issues du produit de la taxe: c’est ce que l’on appelle le double dividende. Or c’est dans l’utilisation de ces fonds que réside en partie l’adhésion ou le rejet à cette taxe par les citoyens. Employées sans rapport avec leur objet, ces recettes donneraient de cette taxe une image strictement punitive. Il est donc primordial de lier les fruits d’une fiscalité écologique européenne au but qui est le sien: mettre à la portée de chacun l’adoption d’un mode de vie sobre en carbone.

La période qui s’ouvre est bel et bien décisive. L’Europe doit franchir le pas et poser les jalons d’un développement authentiquement durable.

Source : Le Huffington Post